Récit de la demande en mariage de l'Imam Ali à la fille d'Abû Jahl

De wikishia

Récit de la demande en mariage de l'Imam Ali à la fille d'Abû Jahl (en arabe : قصة خطبة الإمام علي من بنت أبي جهل) fait partie des hadiths controversés entre les chiites et les sunnites. Selon cette histoire, l'Imam Ali (a) aurait demandé la main de la fille d'Abû Jahl, ce qui aurait causé la tristesse de Sayyida Fatima (a). D'après ce récit, cette action de l'Imam Ali (a) provoqua une réaction du Prophète Muhammad (s), qui prononça alors le hadith de « Bad‘a » dans lequel il déclare que attrister Fatima équivaut à le attrister lui-même.

Ce récit apparaît dans les livres de hadiths authentiques sunnites, c'est pourquoi ils l'acceptent. Cependant, les savants chiites considèrent qu'il a été fabriqué par les opposants aux Ahl al-Bayt (a) dans le but de discréditer le Prince des croyants Ali (a). Ils considèrent que :

  • La chaîne de transmission de ce rapport est faible et que ses rapporteurs étaient hostiles à l'Imam Ali (a).
  • Le contenu pose problème car il est incompatible avec le noble caractère du Messager de Dieu (s), qui ne se serait pas mis en colère pour une chose licite au point de monter sur le minbar et menacer Ali (a) de divorcer de sa fille.
  • Il est impossible que l'Imam Ali (a), avec toutes ses qualités morales, ait entrepris une telle démarche sans consulter le Prophète (s).

Dans les sources chiites, seul cheikh as-Sadûq dans le livre « ‘Ilal ash-Sharâ’î‘ » rapporte un hadith concernant cette histoire, selon lequel le malentendu fut dissipé après que l'Imam Ali (a) démentit l’événement de la demande en mariage. Toutefois, dans son autre livre « al-Amâlî », cheikh as-Sadûq cite l'Imam as-Sâdiq (a) qui qualifie ce récit de calomnie.

Position et importance de l'événement

Le récit de la demande en mariage de l'Imam Ali à la fille d'Abû Jahl fait partie des rapports controversés entre chiites et sunnites. Ces derniers l'acceptent,[1] mais les chiites le considèrent comme un récit fabriqué et inventé,[2] incompatible avec le statut du Prophète Muhammad et de l'Imam Ali,[3] et y trouvent des problèmes tant au niveau de la chaîne de transmission[4]) et du contenu.[5]

Pour réfuter cette histoire, des différents livres ont été écrits, y compris :

  • « La fausse demande en mariage : étude et critique du récit de la demande en mariage de Ali (a) à la fille d'Abû Jahl » par l’Ayatollah Sayyid Ali Husaynî Mîlânî.
  • « Les rapports de la demande en mariage de l'Imam Ali (a) à la fille d'Abû Jahl sous l'angle de la critique » par Yûsuf Jamâlî.

Concernant le nom de la fille d'Abû Jahl, il existe des divergences. Certaines sources sunnites la nomment « Juwayrîyya »,[6] d'autres « ‘Awrâ’ »,[7] et d'autres encore « Jamîla ».[8]

Dans les sources sunnites et chiites

Le récit de la demande en mariage de l'Imam Ali (a) à la fille d'Abû Jahl est mentionné dans les sources sunnites.[9] Cependant, cette histoire apparaît sous différentes versions dans ces sources.[10]

Parmi les sources chiites, seul cheikh as-Sadûq raconta ce récit dans le livre « ‘Ilal ash-Sharâ’i‘ »[11] et dans son autre livre, « al-Amâlî », le refuta en citant un hadith de l’Imam as-Sâdiq (a) selon lequel cette histoire est considérée comme l'une des fausses accusations portées contre l'Imam Ali (a), le Prophète Muhammad (s) et les autres prophètes (a).[12]

Point de vue des savants chiites

Sayyid Murtadâ, spécialiste de hadith et théologien chiite du 5e siècle h,[13] Ibn Shahrâshûb, autre spécialiste chiite de hadith du 6e siècle h,[14] Sayyid Ja‘far Murtada,[15] Sayyid Muhammad Husaynî Qazwînî, chercheur chiite du 15e siècle h, et d'autres savants[16] considèrent ce récit comme une fabrication.

Sayyid Murtadâ considère que l'inventeur de cette histoire est un mécréant et un ennemi des Ahl al-Bayt (a), et affirme que l'offense faite au Messager de Dieu (s) dans ce récit est bien plus grave que celle faite au Commandeur des croyants Ali.[17] ‘Allâma Tabâtabâ’î, philosophe et exégète chiite du Coran du 15e siècle h, considère également cette histoire comme incompatible avec les autres hadiths chiites et écrit que cette histoire fabriquée dénigre aussi le Prophète Muhammad (s).[18] D’après l’Ayatollah Husaynî Mîlânî, cette histoire constitue également une offense à l’Envoyé d’Allah (s) et à Sayyida Fatima Zahra (a).[19]

Certains chercheurs expliquent également que l'insistance sur cette histoire vise à suggérer que si le premier et le second calife firent du tort à la fille du Prophète, Fatima Zahra (a), l'Imam Ali lui en fit aussi, et qu'il n'y a donc pas de différence entre eux. En d'autres termes, les fabricateurs de récit accusèrent faussement l'Imam Ali (a) pour disculper les califes.[20]

Objections soulevées contre le récit de la demande en mariage

Certaines des objections des savants chiites concernant l'histoire de la demande en mariage présente dans les sources sunnites :

  1. Le jeune âge du narrateur principal : Cet événement se serait produit en l'an 8 de l'hégire, après la Conquête de La Mecque. Cependant, Miswar (le narrateur de l'histoire dans les livres sunnites) naquit en l'an 2 de l'hégire et n'avait donc que six ans à l'époque.[21] Alors, cette question a été posée : comment se fait-il que parmi tous les compagnons du Prophète Muhammad (s), seuls deux enfants comme Miswar et Abd Allah b. az-Zubayr, qui naquit la première année de l'hégire, aient rapporté ces faits, tandis que les autres ne firent pas mention de l'histoire et du sermon du Prophète (s).[22]
  2. La présence d'ennemis des Ahl al-Bayt (a) dans la chaîne de transmission : Miswar, le narrateur du récit, entretenait de bonnes relations avec les Kharidjites. Il était également proche de Muawiya et de la Maison d’az-Zubayr, qui étaient tous parmi les ennemis les plus tenaces des Ahl al-Bayt (a). Par conséquent, sa narration n'est pas fiable sur ce sujet.[23] Al-Karâbîsî, un autre narrateur dans la chaîne de transmission, était aussi l'un des ennemis notoires d'Ahl al-Bayt et de l’Imam Ali (a).[24]
  3. Les divergences dans les rapports : Les différences entre les versions de l'histoire diminuent sa crédibilité[25] ou indiquent que l'événement n'a jamais eu lieu.[26]
  4. L'incompatibilité avec le statut du Prophète Muhammad (s) et de l'Imam Ali (a) : Le récit de la demande en mariage dans les sources sunnites est considérée comme incompatible avec le statut du Messager d’Alah (s) et son noble caractère. En effet, selon ce récit, il se serait mis tellement en colère pour une chose licite qu'il serait entré dans la mosquée et aurait déclaré du haut du minbar que Ali devait divorcer de sa fille. De plus, Sayyid Murtadâ affirme que quiconque connaît l'histoire sait que l'Imam Ali (a) obéissait au Prophète (s) en toutes circonstances et ne fit jamais quoi que ce soit qui aurait pu provoquer ses reproches.[27]
    Certains considèrent aussi comment il serait possible que le Messager d'Allah (s) qualifie la fille d'Abû Jahl, qui s'était convertie à l'islam, de « fille de l'ennemi d'Allah », alors que d'autre part, il n'autorisait pas ses compagnons à appeler son frère ‘Akrama, qui s'était converti après la Conquête de La Mecque, par cette description « fils de l'ennemi d'Allah », car cela blessait ‘Akrama.[28]
  5. Problématiques historiques : Certains considèrent que la possibilité de fiançailles entre l'Imam Ali (a) et la fille d'Abû Jahl était impossible, pour des raisons historiques, car elle était non-musulmane avant la Conquête de La Mecque,[29] et après sa conversion à l'islam, elle épousa ‘Attâb b. Usayd (Asîd).[30] Par conséquent, la fille d'Abû Jahl ne vint jamais à Médine pour qu'un mariage puisse avoir lieu.[31]
    Un certain nombre de chercheurs, en rapportant les paroles qui expriment la haine de la fille d'Abû Jahl envers l'islam et le Messager d'Allah (s) après la Conquête de La Mecque,[32] et son insulte envers Bilal, le muezzin Prophète (s), pendant l'appel à la prière (Adhân),[33] conclurent que sa conversion à l’islam était superficielle et rejetèrent l'histoire du mariage avec l'Imam Ali.[34]

Références

  1. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 17
  2. Voir px : Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 167 ; Ibn Shahrâshûb, Al-Manâqib, vol 1, p 4
  3. Voir px : Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 168 ; ‘Allâma Tabâtabâ’î, Al-Mîzân, vol 14, p 229
  4. Voir px : Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 167 - 168
  5. Voir px : Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 169
  6. Voir : Al-Wâqidî, Al-Maghâzî, vol 2, p 846 ; Ibn Sa‘d, At-Tabaqât al-Kubrâ, vol 8, p 206
  7. Voir : Ahmad ibn Hanbal, Fadâ’il as-Sahâba, vol 2, p 946 ; Ibn Hajar al-‘Asqalânî, Fath al-Bârî, vol 7, p 86
  8. Ibn al-Athîr al-Jazarî, Usd al-Ghâba, 6, p 53
  9. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 17
  10. Voir px : Bukhârî, Sahîh al-Bukhârî, vol 5, p 207 - 208, vol 6, p 125 - 126, vol 8, p 199 ; Ibn Hanbal, Musnad, vol 31, p 226, 227 - 229 ; Muslim ibn al-Hajjâj, Sahîh Muslim, vol 4, p 1902, 1903 - 1904
  11. Dhihnî Tihrânî, Tarjumiyi ‘Ilal ash-Sharây‘, vol 1, p 605
  12. Cheikh as-Sadûq, Al-Amâlî, p 102 - 105
  13. Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 167
  14. Ibn Shahrâshûb, Al-Manâqib, vol 1, p 4
  15. Al-‘Âmilî, As-Sahîh min Sîrat al-Imâm Alî, vol 3, p 61 - 65
  16. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 131 ; Muhsinî, « Khâstigârî Imâm ‘Alî az Dukhtar Abû Jahl », p 97 - 98 ; Husiynî Qazwînî, «خواستگاری از دختر ابوجهل/ازدواج موقت», Institut de recherche de Hadrat Walî ‘Asr (aj).
  17. Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 168
  18. ‘Allâma Tabâtabâ’î, Al-Mîzân, vol 14, p 229
  19. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 17
  20. ‘Âbidî, «ماجرای خواستگاری امیرالمؤمنین از دختر ابوجهل/چه کسانی مورد غضب صدیقه طاهره (س) بودند؟», agence de presse Jawân
  21. Muhsinî, « Khâstigârî Imâm ‘Alî az Dukhtar Abû Jahl », p 106
  22. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 132 - 133
  23. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 131 ; Muhsinî, « Khâstigârî Imâm ‘Alî az Dukhtar Abû Jahl », p 105
  24. Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 167 - 168
  25. Al-‘Âmilî, As-Sahîh min Sîrat al-Imâm Alî, vol 3, p 65
  26. Husiynî Mîlânî, Khâstigârî Sâkhtigî, p 87
  27. Ash-Sharîf al-Murtadâ, Tanzîh al-Anbîyâ’, p 169
  28. Al-‘Âmilî, As-Sahîh min Sîrat al-Imâm Alî, vol 3, p 71 ; Al-Hâkim an-Niysâbûrî, Al-Mustadrak ‘ala as-Sahîhayn, vol 3, p 270 - 271
  29. Al-Khatîb al-‘Umarî, Ar-Rawdat al-Fayhâ’ fî Tawârîkh an-Nisâ’, p 67
  30. Adh-Dhahabî, Târîkh al-Islâm, vol 3, p 531
  31. Muhsinî, « Khâstigârî Imâm ‘Alî az Dukhtar Abû Jahl », p 113 - 114
  32. Al-Wâqidî, Al-Maghâzî, vol 2, p 846 ; Al-Maqrîzî, Imtâ‘ al-Asmâ‘, vol 1, p 396 ; vol 13, 385
  33. Al-Balâdhurî, Ansâb al-Ashrâf, vol 1, p 356 ; Ibn al-Athîr al-Jazarî, Al-Kâmil fi at-Târîkh, vol 2, p 254
  34. Husiynî Qazwînî, «پاسخ به شبهه ازدواج حضرت علی(ع) با دختر ابوجهل», Institut de recherche de Hadrat Walî ‘Asr (aj)