Namîma
Namîma (en arabe : النميمة) est un péché majeur qui consiste à rapporter les paroles d'une personne à une autre dans le but de troubler leurs relations amicales. An-Namîma fait partie des péchés liés à la langue, et elle est condamnée à la fois dans le Coran et dans les hadiths.
Cet acte est souvent associé à d'autres vices moraux tels que le commérage (al-Ghaybah) et la calomnie (Buhtân), et peut découler de sentiments tels que la jalousie. Parmi ses conséquences mondaines figurent le meurtre, l'humiliation et la dégradation, tandis que ses conséquences dans l'au-delà incluent la privation du Paradis.
Définition
An-Namîma désigne le fait de rapporter les paroles de quelqu’un à une autre personne dans le but de perturber leurs relations amicales. Toutefois, An-Namîma ne se limite pas seulement à la parole, mais inclut aussi l'écriture ou même des allusions. Elle implique également la révélation de choses que la personne ne souhaite pas voir exposées au public. Celui qui rapporte les paroles d'une personne dans l'intention de nuire à ses relations avec autrui est appelé un « An-Nammâm ». An-Namîma est souvent accompagnée de la divulgation de secrets, de fausses accusations, d'hypocrisie, de jalousie, de mensonges et de commérages (al-Ghayba).
Différence avec as-Si'âya (dénonciation)
As-Si'âya est un type particulier de calomnie. Elle se produit lorsqu'une personne rapporte les paroles d'autrui à quelqu'un de puissant, comme un roi, dans le but de semer la discorde ou d'obtenir des faveurs. Selon an-Narâqî, la dénonciation est considérée comme la forme la plus grave de la calomnie, et son péché est plus sérieux que celui des autres types de calomnie. Il estime qu'elle découle de l'avidité et de la jalousie.
Dans le Coran et les hadiths islamiques
Le mot An-Namîma apparaît une fois dans le Coran, dans le verset 11 de la sourate Al-Qalam :
- هَمَّازٍ مَشَّاءٍ بِنَمِیمٍ ; « grand diffamateur, grand colporteur de médisance ».
Ce verset interdit de suivre les calomniateurs.[7] Certains exégètes du Coran considèrent que le terme Hammâz dans le premier verset de la sourate al-Humaza désigne un calomniateur.[8] Par ailleurs, plusieurs commentateurs interprètent l'expression coranique Hammâlat al-Hatab (« porteuse de bois ») concernant l'épouse d'Abû Lahab comme une métaphore de ses actes de calomnie.[9]
Certains savants en éthique considèrent les calomniateurs comme des exemples de mécréants (Fâsiqûn) et d'injustes (Zâlimûn) mentionnés dans les versets 27 de la sourate al-Baqara et 42 de la sourate ash-Shûrâ', qui les condamnent. [10]
Dans les hadiths islamiques, An-Namîma est décrite comme un vice moral et un grand péché. Dans son ouvrage al-Kâfî, cheikh al-Kulaynî rapporte trois hadiths du Prophète (s), de l’Imam Ali (a) et de l’Imam al-Bâqir (a), sous le chapitre intitulé Bâb An-Namîma. Ces hadiths qualifient les calomniateurs, dont l’objectif est de semer la discorde entre amis et de critiquer les gens vertueux, comme les pires individus, et mentionnent qu’ils seront exclus du Paradis.[11]
Certains hadiths relient la calomnie aux châtiments de la tombe.[12] D'autres encore décrivent l’inclination à la calomnie comme un trait des hypocrites.[13] Dans le célèbre hadith sur les soldats de l’intellect et de l’ignorance (Junûd al-'Aql wa-l-Jahl), l’Imam as-Sâdiq (a) classe Sawn al-Hadîth (la maîtrise de la parole) parmi les armées de l’intellect, tandis qu’il place An-Namîma (la calomnie) parmi celles de l’ignorance. [14]
Dans la jurisprudence et l'éthique islamiques
Dans les ouvrages d’éthique, An-Namîma est étudiée sous le chapitre des vices moraux et des péchés liés à la langue (Âfât al-Lisân).[15] Elle est également abordée dans les ouvrages de jurisprudence islamique dans les sections sur les peines (Hudûd wa at-Ta’zîrât)[16] et les transactions interdites (Makâsib Muharrama).[17]
Précepte jurisprudentiel
An-Namîma est considérée comme un grand péché et est interdite.[18] Dans son ouvrage Irshâd al-Qulûb, ad-Daylamî estime que la calomnie est un péché encore plus grave que la médisance (al-Ghayba). [19] Cela s’explique par le fait que le calomniateur pratique souvent la médisance en même temps, par exemple lorsqu’il rapporte à autrui un défaut ou un manquement concernant une personne.[20] Selon al-'Allâma al-Hillî, un chef militaire ne doit pas emmener un calomniateur sur le champ de bataille. Si ce dernier participe malgré tout, il ne recevra aucune part du butin.[21]
Dans la jurisprudence chiite, l’acquisition de biens par le biais de la calomnie est interdite.[22] De plus, si une personne accuse injustement quelqu’un d’être un calomniateur, elle est passible d’at-Ta’zîr (une peine discrétionnaire). [23]
Exceptions
Dans certains cas, An-Namîma peut être permise, comme lorsqu’elle vise à semer la discorde parmi les forces ennemies.[24] Dans son ouvrage Kashf ar-Rayba 'an Ahkâm al-Ghayba, Shahîd ath-Thânî précise qu’il est interdit de rapporter ce que l’on observe chez les autres sauf si cela présente un bénéfice pour un musulman ou permet d’éloigner une personne d’un péché.[25] De même, Cheikh al-Ansârî affirme que si les avantages de la calomnie dans une situation donnée surpassent les désavantages de la divulgation de secrets, elle devient permise.[26]
Motivations et origines d’An-Namîma
An-Narâqî considère que les origines d’An-Namîma résident dans les forces de colère (Quwwa al-Ghadabîyya) et de désir (Quwwa Shahawîyya).[27] Certains ouvrages éthiques mentionnent plusieurs motivations à l’origine de cet acte, notamment :
- Nuire à la personne dont les propos sont rapportés ;
- Montrer de l’affection à celui à qui ces propos sont rapportés ;
- La recherche de divertissement et d’amusement ;
- L’usage de paroles futiles ; [28]
- Semer la discorde ;
- La jalousie.
Conséquences et impacts
Les hadiths islamiques décrivent de nombreuses conséquences d’An-Namîma, parmi lesquelles :
- Châtiment dans la tombe : Selon une narration d’Ibn Abbâs, un tiers des châtiments de la tombe est lié à An-Namîma. [29]
- Privation du Paradis : Un hadith rapporté de l’Imam al-Bâqir (a) mentionne que les calomniateurs figurent parmi ceux qui sont privés d’accéder au Paradis. [30]
- Non-exaucement des prières : Kâ’b al-Ahbâr rapporte qu’un épisode de sécheresse a frappé les Banî Isrâ'îl. Lorsque le Prophète Moïse (a) a demandé à Dieu d’envoyer la pluie, sa prière est restée sans réponse. Dieu lui révéla qu’un calomniateur était présent parmi eux, et qu’aussi longtemps qu’il persisterait dans ses actes, les prières ne seraient pas exaucées. Lorsque Moïse (a) demanda à Dieu de lui indiquer ce calomniateur, Dieu répondit : « Je vous interdis la calomnie, comment pourrais-je moi-même calomnier ? » [31]
- Humiliation et abaissement : Il est rapporté qu’An-Namîma repose sur le mensonge, la jalousie et l’hypocrisie, et qu’elle conduit à un état de mépris et d’humiliation. [32]
- Création de rancunes et de conflits : L’Imam Ali (a) aurait dit : « Évitez An-Namîma, car elle sème les graines de la rancune et crée une séparation entre Dieu et les hommes. » [33]
Dans son livre Mi'râj as-Sa’âda, an-Narâqî affirme qu’An-Namîma est l’un des actes les plus ignobles et les plus abjects. Selon lui, celui qui possède cette caractéristique est parmi les pires individus et les plus corrompus d’esprit. Il souligne que, d’après les paroles divines, tout calomniateur est de naissance illégitime (Walad az-Zinâ). Dans les versets 10 à 13 de la sourate al-Qalam, Dieu déclare : « وَلَا تُطِعْ كُلَّ حَلَّافٍ مَهِينٍ *هَمّٰازٍ مَشّٰاءٍ بِنَمِيمٍ *مَنّٰاعٍ لِلْخَيْرِ مُعْتَدٍ أَثِيمٍ* عُتُلٍّ بَعْدَ ذٰلِكَ زَنِيمٍ »
- « Et n’obéis à aucun grand jureur, méprisable * grand diffamateur, grand colporteur de médisance ;
grand empêcheur du bien, transgresseur, grand pécheur * au cœur dur, et en plus de cela bâtard. »
Traitement d’An-Namîma
Le traitement d’An-Namîma repose sur l'élimination de ses motivations, telles que la jalousie et la rancune. De plus, une prise de conscience des conséquences mondains et spirituelles décrites dans les traditions religieuses est recommandée pour surmonter ce vice. Fayz al-Kâshânî propose plusieurs recommandations pour gérer les calomniateurs :
- Ne pas valider les propos du calomniateur : Refuser de croire ou de confirmer ce qu'il dit.
- Le dissuader de calomnier : Pratiquer l’interdiction du mal (Nahy 'an al-Munkar).
- Ne pas porter de jugements négatifs sur autrui : Ne pas développer de mauvaises pensées envers les personnes concernées par les propos rapportés.
- Éviter de vérifier la véracité des propos du calomniateur : Ne pas enquêter pour confirmer ou infirmer ses dires.
- Ne pas divulguer les propos du calomniateur : S'abstenir de transmettre les paroles d'un an-Nammâm.
- Éprouver de l’animosité envers le calomniateur : Considérer l'acte de calomnie comme répréhensible et maintenir une distance morale avec celui qui s’y adonne.[34]