Al-Ihbât
Al-Ihbât (en arabe : الإحباط) signifie l'annulation de la récompense des actes cultuels en raison du péché, un sujet discuté en théologie islamique. Les musulmans s'accordent sur le fait que les bonnes actions peuvent être rendues inefficaces par le péché, mais il n'y a pas d'unanimité sur l'analyse de la manière dont les bonnes actions sont rendues inefficaces par la commission d'un péché.
Selon le point de vue des savants chiites, l'annulation des actes est contraire au Coran et à la raison. Par conséquent, ils interprètent le concept de « al-Ihbât » d'une manière compatible avec ces deux sources. D’après leur perspective, la condition pour l'acceptation de certaines bonnes actions est l'abstention de certains péchés à l'avenir. Lorsqu'un péché est commis, il devient évident que la personne n'a pas accompli la bonne action avec toutes ses conditions requises dès le début et n'était donc pas éligible à la récompense.
Parmi les sunnites, les ash'arites, à l'instar de l'opinion chiite, considèrent « al-Ihbât » comme incorrect. Cependant, les mu'tazilites croient en la validité de l’annulation des bonnes actions.
Conformément à la croyance des mu'tazilites, au Jour du Jugement, l'ensemble des bonnes actions sera comparé à l'ensemble des péchés de la personne croyante. Les actes de moindre valeur seront entièrement anéantis, ou bien une partie des actes de plus grande valeur sera détruite.
Par unanime parmi les musulmans, l'apostasie entraîne l'annulation de toutes les bonnes actions. De même, Iblis a anéanti ses six mille ans d'adoration en raison de son orgueil.
Dans le Coran et les hadiths, d'autres facteurs sont mentionnés comme causes de « al-Ihbât », tels que : élever la voix en présence du Prophète Muhammad (s), l'hypocrisie et le rejet de l’Imamat et la Wilaya de l'Imam Ali (a).
Sens du concept et position
Al-Ihbât est un terme coranique[1] et un concept en théologie islamique,[2] qui signifie l'annulation des bonnes actions et de leurs récompenses en raison du péché.[3]
‘Allâma Sha‘rânî, un exégète chiite du Coran, croit qu’al-Ihbât dans le Coran concerne les actes accomplis par un mécréant sans intention de se rapprocher de Dieu (an-Nîyya), tandis qu’al-Ihbât dans la science de théologie islamique se rapporte aux actes correctement accomplis par les croyants avec l'intention de se rapprocher de Dieu, mais qui deviennent inefficaces à cause d'un péché commis.[4]
Le mot « al-Ihbât » et ses dérivés apparaissent seize fois dans le Coran.[5]
À l'opposé de « al-Ihbât », on trouve le concept de « at-Takfîr », qui signifie l'effacement des péchés par l'accomplissement de bonnes actions.[6]
En théologie islamique, la question d’al-Ihbât a été largement débattue et diverses perspectives ont été exprimées à son sujet.[7]
D’après les théologiens, la question d’al-Ihbât concerne principalement les croyants qui accomplissent parfois de bonnes actions et parfois des péchés, et qui constituent la majorité de la communauté des fidèles. En revanche, les mécréants qui ne croient pas jusqu'à leur mort, ainsi que les croyants qui ne commettent jamais de péché, ne sont pas concernés par le débat sur al-Ihbât.[8]
Cette question est abordée en théologie dans le cadre de sujets tels que al-Ma‘âd, la récompense et le châtiment, ou les promesses et les menaces divines.[9]
Al-Ihbât est important car il a un impact sur le destin de l’homme ainsi que sur ses bonnes et mauvaises actions, tant dans ce monde que dans l’au-delà. L’attention portée à cette question confronte les croyants à cet avertissement : un individu, par ses actions volontaires, peut corrompre ses bonnes actions. Selon les chercheurs, une mauvaise compréhension d’al-Ihbât ou d’at-Takfîr conduit respectivement au désespoir et à la contentement de soi, éloignant ainsi la personne de l’état de crainte et d’espoir. Car il se peut qu'en pensant que toutes ses actions ont été détruites, l’homme renonce à faire de bonnes œuvres, ou bien qu'en croyant que tous ses péchés ont été pardonnés, il devient orgueilleux et s'autorise à commettre des péchés.[10] D’après ce qui a été rapporté de l’Imam Ali (a) dans le sermon d’al-Qâsi‘a, les adorations de six mille ans d’Iblis ont été détruites à cause de son orgueil.[11] Le verset 65 de la sourate az-Zumar parle également d’al-Ihbât dans les religions antérieures à l’
islam.
Point de vue chiite
Selon toutes les écoles islamiques, y compris les chiites, la commission de certains péchés entraîne la perte des bonnes actions.[12] Par exemple, tous les savants musulmans croient que toutes les bonnes actions d'un croyant sont détruites par son apostasie s'il ne se repent pas par la suite.[13] L’Ayatollah Jawâdî Âmulî, auteur du livre exégétique coranique « Tafsîr Tasnîm », divise al-Ihbât en annulation pure et impure. Il croit que certains actes comme l'apostasie détruisent toutes les actions, ce qui est l'annulation pure, tandis que certains péchés comme ‘Ujb sont une annulation impure qui ne détruit que l'action dans laquelle ‘Ujb s'est produite.[14] Selon ‘Allâma al-Majlisî, auteur du Bihâr al-Anwâr, on ne peut pas considérer que chaque péché annule les bonnes actions, mais il faut se limiter aux cas mentionnés dans les versets et les hadiths.[15] Certains savants chiites croient également que l'annulation des bonnes actions est limitée à devenir mécréant, à l'hypocrisie et à l'apostasie.[16]
Les savants chiites ont deux approches distinctes concernant l'analyse de comment les bonnes actions deviennent inefficaces en commettant un péché :
Rejet total d’al-Ihbât
Selon la majorité des savants chiite[17] comme cheikh at-Tûsî, un des théologiens chiites les plus grands du 4e siècle de l’hégire, le sens apparent des versets indiquant l'annulation des bonnes actions en raison de commission du péché (al-Ihbât) n'est pas acceptable ; car les fondements des croyances reposent sur la raison et les versets doivent être interprétés d'une manière compatible avec la raison.[18] Pour établir cette compatibilité, il a été dit que l'annulation des bonnes actions mentionnée dans les hadiths n'est pas utilisée dans son sens réel ; mais signifie plutôt que la condition d'acceptation de certaines bonnes actions est de ne pas commettre certains péchés à l'avenir, et en commettant ces péchés, il devient évident que la personne n'a pas accompli l'action vertueuse avec toutes ses conditions dès le début, et n'était donc pas fondamentalement éligible à la récompense.[19]
Certains savants ont utilisé des arguments rationnels et coraniques pour prouver l'invalidité d’al-Ihbât[20] :
- Argument coranique : D’une part, selon certains versets du Coran comme le verset 7 de la sourate az-Zalzala et le verset 40 de la sourate an-Najm, les hommes verront le résultat de toutes les actions qu'ils ont accomplies au Jour du Jugement.[21]
- Argument rationnel : D’autre part, la raison nous dit que l'annulation d'une bonne action par un péché (al-Ihbât) est une forme de trahison de promesse et d'injustice, et puisque Dieu ne commet pas d'injustice, Il n'annule jamais les bonnes actions de l'homme par la commission d'un péché.[22] Oui, s'il est stipulé dès le début que la condition d'acceptation des bonnes actions est de ne pas commettre certains péchés, alors en commettant le péché, la personne ne mérite pas de récompense, car elle a accompli la bonne action sans sa condition.[23]
Confirmation d’al-Ihbât dans quelque cas
Il y a un petit nombre de savants chiites qui croient qu’al-Ihbât est possible.[24] L’Ayatollah Makârim Shîrâzî, auteur du livre exégétique coranique « Tafsîr Nimûni », en comparant l'annulation aux affaires mondaines, croit que tout comme il est possible que les capitaux qu'une personne a accumulés péniblement tout au long de sa vie soient perdus à cause d'une erreur, il est possible que ses bonnes actions soient annulées par la commission d'un péché. Il considère le désaccord sur ce sujet comme une dispute apparente, en ce sens que l'opinion des savants est essentiellement la même, mais chacun a argumenté de manière différente.[25]
Point de vue des ash‘arites et des mu‘tazilites
Les ash‘arites , à l'instar de l'opinion chez les chiites, considèrent al-Ihbât (l’annulation des bonnes actions) comme invalide.[26] En revanche, les mu‘tazilites le considèrent comme valide.[27]
L’Ayatollah Ja‘far Subhânî, théologien chiite du 15e siècle de l’hégire, attribue l'origine de cette perspective mu‘tazilite à leur croyance concernant les grandes péchés. En effet, ils croient qu'un croyant qui commet un grand péché et meurt sans se repentir entrera en enfer le Jour du Jugement et subira le châtiment divin pour l'éternité.[28]
Les mutazilites n’ont pas une seule opinion sur cette question et ils ont exprimé trois théories à ce sujet :
- La comparaison de la somme des bonnes actions avec la somme des péchés, en donnant la priorité aux actions les plus nombreuses par rapport aux actions les moins nombreuses, sans en diminuer la quantité[29] ;
- L'équilibrage entre les bonnes actions et la somme des péchés ; les bonnes actions sont pesées contre les péchés et si la quantité de péchés est inférieure aux bonnes actions, la même quantité de bonnes actions est annulée, le reste demeurant intact.[30]
- Le critère de la dernière action ; si la dernière action accomplie par une personne est un péché, toutes ses bonnes actions sont anéanties.[31]
Les mutazilites ont eu recours à des arguments rationnels pour prouver leur affirmation,[32] auxquels les savants chiites et ash'arites ont répondu.[33]
Facteurs d'al-Ihbât
Selon l’unanimité de tous les musulmans, si un croyant devient apostat, son incroyance détruit toutes ses actions passées.[34] Dans les versets du Coran, l'apostasie après la foi,[35] le meurtre de ceux qui ordonnent le bien,[36] le rejet de l'au-delà et des versets divins,[37] ainsi que l'hypocrisie et la duplicité[38] sont considérés comme des causes d'al-Ihbât.[39] Dans les hadiths chiites, parmi les facteurs d’al-Ihbât, on mentionne également les péchés suivants : le rejet de l’Imamat et la Wilayat de l'Imam Ali (a),[40] l'impatience face à l'adversité,[41] l'accusation d'adultère envers un homme ou une femme mariés,[42] la suspicion,[43] l'ostentation[44] et la querelle.[45]
Élever la voix en présence du Prophète Muhammad (s)
Dans le verset 2 de la sourate al-Hujurât, les croyants sont interdits d'élever leur voix au-dessus de celle du Prophète Muhammad (s) et de parler fort en sa présence, de peur que leurs actions ne deviennent vaines. Les exégètes chiites du Coran ont donné différentes explications pour signifier ce verset et comprendre comment un acte autre que ‘l'apostasie et le polythéisme pourrait causer al-Ihbât :
- Élever la voix au-dessus de celle du Messager d’Allah (s) en sa présence, si c'est fait dans l'intention d'insulter le Prophète (s), est une forme de polythéisme. Selon l'opinion de tous les musulmans, lorsqu'une personne devient polythéisme, toutes ses actions sont détruites.
- Être en présence du Prophète est en soi une action méritant des récompenses. Si les croyants parlent fort en présence du Prophète (s) avec l'intention d'insulter, cela détruit la récompense d'être en sa présence.[46]
- Se détruire toutes les bonnes actions d'un croyant à cause du manque de respect envers l’Envoyé de Dieu (s) est possible, et il n'y a pas d'argument rationnel qui s'y oppose.[47]
Références
Bibliographie
- Le Coran.
- Ibn Ḥayyūn, Nu‘mān b. Muḥammad, Da‘ā’im al-Islām wa Dhikr al-Ḥalāl wa al-Ḥarām wa al-Qaḍāyā wa al-Aḥkām, Qom : Mu’assasa Āl al-Bayt (‘a), 1385 H.
- Ibn Shu‘ba Ḥarrānī, Ḥasan b. ‘Alī, Tuḥaf al-‘Uqūl, Qom : Daftar Intishārāt Islāmī, 1404 H.
- Ījī, ‘Abd al-Raḥmān b. Aḥmad, Al-Mawāqif fī ‘Ilm al-Kalām, Beyrouth : ‘Ālam al-Kutub, s.d.
- Tafṭāzānī, Mas‘ūd b. ‘Umar, Sharḥ al-Maqāṣid, Qom : Al-Sharīf al-Riḍā, 1412 H.
- Ja‘farī, Ya‘qūb, « Āshnā’ī bā Chand Iṣṭilāḥ-i Qur’ānī (4) Iḥbāṭ wa Takfīr », in Majalla Dars-hā-yi az Maktab-i Islām, n° 10, Dey 1372 SH.
- Jawādī Āmulī, ‘Abdullāh, Tasnīm, Qom : Isrā’, 1387 SH.
- Ḥillī, Ḥasan b. Yūsuf, Kashf al-Murād fī Sharḥ Tajrīd al-I‘tiqād, Qom : Mu’assasa Imām Ṣādiq (‘a), 1382 SH.
- Ḥimmaṣī Rāzī, Maḥmūd, Al-Munqidh min al-Taqlīd, Qom : Daftar Intishārāt Islāmī, 1412 H.
- Ṣubḥānī, Ja‘far, Farhang-i ‘Aqā’id wa Madhāhib Islāmī, Qom : Tawḥīd, 1378 SH.
- Ṣubḥānī, Ja‘far, Manshūr-i Jāvīd, Qom : Mu’assasa Imām Ṣādiq (‘a), 1390 SH.
- Shujā‘ī, Aḥmad, « Iḥbāṭ wa Takfīr », in vol. 1 de Dāneshnāma Kalām-i Islāmī, Qom : Mu’assasa Imām Ṣādiq (‘a), 1387 SH.
- Cheikh Ṣadūq, Muḥammad b. ‘Alī, Al-Amālī, Téhéran : Kitābchī, 1376 SH.
- Cheikh Ṣadūq, Muḥammad b. ‘Alī, Thawāb al-A‘māl wa ‘Iqāb al-A‘māl, Qom : Dār al-Sharīf al-Riḍā, 1406 H.
- Cheikh Ṭūsī, Muḥammad b. Ḥasan, Al-Iqtiṣād fī Mā Yata‘allaq bi-al-I‘tiqād, Beyrouth : Dār al-Aḍwā’, 1406 H.
- Cheikh Ṭūsī, Muḥammad b. Ḥasan, Al-Tibyān fī Tafsīr al-Qur’ān, Beyrouth : Dār Iḥyā’ al-Turāth al-‘Arabī, s.d.
- Ṣaffār, Muḥammad b. Ḥasan, Baṣā’ir al-Darajāt fī Faḍā’il Āl Muḥammad (ṣ), Qom : Kitābkhāna-yi Āyat Allāh Mar‘ashī Najafī (ra), 1404 H.
- Ṭabrisī, Faḍl b. Ḥasan, Majma‘ al-Bayān fī Tafsīr al-Qur’ān, Téhéran : Nāṣir Khusraw, 1372 SH.
- ‘Abd al-Bāqī, Muḥammad Fu’ād, Al-Mu‘jam al-Mufahras li-Alfāẓ al-Qur’ān al-Karīm, Beyrouth : Dār al-Fikr, 1407 H.
- Qāḍī ‘Abd al-Jabbār, Ibn Aḥmad, Sharḥ al-Uṣūl al-Khamsa, Beyrouth : Dār Iḥyā’ al-Turāth al-‘Arabī, 1422 H.
- Kulaynī, Muḥammad b. Ya‘qūb, Al-Kāfī, Téhéran : Dār al-Kutub al-Islāmiyya, 1407 H.
- Majlisī, Muḥammad Bāqir b. Muḥammad Taqī, Biḥār al-Anwār al-Jāmi‘a li-Durar Akhbār al-A’imma al-Aṭhār (‘a), Beyrouth : Dār Iḥyā’ al-Turāth al-‘Arabī, 1403 H.
- Miṣbāḥ Yazdī, Muḥammad Taqī, Āmūzish ‘Aqā’id, Qom : Shirkat Chāp wa Nashr Bāyn al-Milal, Sāzmān Tablīghāt Islāmī, 1384 SH.
- Makāram Shīrāzī, Nāṣir, Tafsīr-i Namūna, Téhéran : Dār al-Kutub al-Islāmiyya, 1374 SH.
- Yazdī, Aqdas, et Zaynab ‘Abbāsī Āghūy, « Iḥbāṭ wa Takfīr-i ‘Amal », in Majalla Taḥqīqāt Kalāmī, n° 14, automne 1395 SH.