Qâ‘ida al-Jabb

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Qâ‘ida al-Jabb (en arabe : قاعدة الجَبّ) est un principe de fiqh selon lequel la conversion d'un non-musulman à l'islam efface ses fautes passées et il n'est pas nécessaire qu'il accomplisse les actes de culte qu'il n'a pas effectués avant sa conversion. Qâ‘ida al-Jabb se traduit en français : la règle de l’extirpation.
Cette règle a un impact sur de nombreuses sections des préceptes de la loi islamique comme la prière, le jeûne, le zakat, le hadj et les peines légales. Cependant, dans certains cas comme la compensation financière (Dîya), les trois purifications (les ablutions, le bain rituel et at-Tayammum) et les dettes, elle ne s'applique pas et le nouveau converti est tenu de les accomplir après sa conversion à l'islam.

Certains juristes estiment que la sagesse derrière une telle règle est d'encourager et d'inciter les non-musulmans à se convertir à l'islam. Pour prouver ce principe, ils se sont appuyés sur des versets du Coran, des hadiths, la tradition du Prophète (s) et la logique rationnelle.

Sens du concept

Dans la jurisprudence chiite, Qâ‘ida al-Jabb ou la règle de l’extirpation est un principe selon lequel, si un mécréant ou un polythéiste a commis un acte, prononcé des paroles interdites ou eu une croyance erronée avant de se convertir à l'islam, actes qui sont punis dans l’islam, il sera pardonné à sa conversion et n'aura pas besoin de compenser.[1] Le mot « Qâ‘ida » se traduit la règle et le mot « al-Jabb » signifie littéralement couper, trancher, ignorer et extirper.[2] En d'autres termes, l'islam sépare et coupe le passé du mécréant de son avenir. Si le mécréant a commis un acte qui mérite une punition selon l'islam, après s'être converti à l'islam, cette faute sera effacée et il n'y aura pas de punition. De même, après s'être converti à l'islam, il n'est pas nécessaire qu'il rattrape les actes d'adoration et les obligations qu'il n'a pas accomplis avant sa conversion. En d'autres termes, son passé de mécréance est effacé par sa conversion à l'islam et il n'a pas besoin de compenser cela. Par exemple, si un non-musulman se convertit à l'islam, il n'est pas obligé de rattraper les prières et les jeûnes manqués dans le passé. Cette règle existe parce que la conversion à l'islam est considérée comme un nouveau départ pour la personne, et son passé est effacé.

Statut et importance

Qâ‘ida al-Jabb ou la règle de l’extirpation est une règle juridique islamique concernant les non-musulmans qui se convertissent à l'islam.[3] Selon cette règle, le passé des non-musulmans n'a aucun effet sur leur avenir, car l'islam coupe le passé de l'avenir.[4] Cette règle ne s'applique qu'au mécréan d'origine, c'est-à-dire à ceux qui se convertissent à l'islam pour la première fois, et non à ceux qui étaient musulmans, sont devenus apostats puis se sont repentis et sont redevenus mususlmans.[5]
En d'autres termes, la règle mentionnée ne s'applique qu'à ceux qui se convertissent à l'islam pour la première fois. Par conséquent, si un musulman devient mécréant puis redevient musulman par la suite, cette règle ne comprend pas une telle personne.

De plus, D’après les juristes chiites, la règle d’al-Jabb ne s'applique qu'aux obligations cultuelles liées aux droits divins. Si un acte comme le vol implique à la fois une violation des droits divins et des droits des gens, la peine légale prescrite qui est un droit divin est annulée, mais l'aspect lié aux droits des gens n'est pas couvert par cette règle,[6] et il est responsable des biens qu'il a volés et doit les rendre à leur propriétaire.
Donc, même si les péchés et erreurs passés sont effacés après la conversion à l'islam selon cette règle, les biens volés ou acquis de manière illicite doivent être restitués à leurs propriétaires légitimes.

L’Ayatollah Subhânî, juriste chiite du 15e siècle de l'hégire, explique que cette règle est une faveur de la part du Seigneur afin que celui qui se convertit à l'islam ne tombe pas dans la difficulté.[7] Ainsi, si cette règle devait également inclure les droits des gens et les effacer comme les droits divins, sans qu'il soit nécessaire de compenser les droits des gens, cela entraînerait la violation des droits d'autrui et ne serait alors plus une faveur divine.[8]

Elle a été invoquée par les juristes dans différents sections du fiqh comme la prière, le jeûne, le zakat, le hadj et les peines légales.[9] On dit que la sagesse derrière cette règle est d'encourager et d'inciter les non-musulmans à se convertir à l'islam.[10] Le cheikh at-Tûsî est le premier juriste à avoir utilisé le hadith d’al-Jabb (l'islam efface ce qui le précède.) dans son livre «‌ al-Khilâf », et Sayyid Muhammad Kâzim Yazdî, l'auteur du livre «‌ al-‘Urwat al-Wuthqâ », est le premier à avoir formulé cette règle en tant que principe juridique islamique.[11]

Preuves et références

Pour prouver ce principe, les savants se sont appuyés sur des preuves tirées des versets du Coran, des hadiths, de la tradition prophétique (sira) et de la logique rationnelle.

Versets

Le verset le plus célèbre sur lequel les juristes se sont appuyés pour prouver la règle d’al-Jabb est le verset 38 de la sourate al-Anfâl[12] :

قُل لِّلَّذِينَ كَفَرُ‌وا إِن يَنتَهُوا يُغْفَرْ‌ لَهُم مَّا قَدْ سَلَفَ وَإِن يَعُودُوا فَقَدْ مَضَتْ سُنَّتُ الْأَوَّلِينَ ﴿٣٨﴾
Dis à ceux qui sont infidèles que s'ils cessent, il leur sera pardonné ce qui est passé. Si [au contraire] ils recommencent [,ils seront châtiés] : le sort traditionnel (sunna) des Anciens est révolu. (38)
Coran, Sourate 8, Verset 38, Traduction du Coran, Régis Blachère

Les versets 22 de la sourate an-Nisâ’ (N'épousez point celles des femmes qu'ont épousées vos pères, sauf celles épousées dans le passé. C'est là. turpitude abominable et combien détestable chemin !) et 95 de la sourate al-Mâ’ida (Ô vous qui croyez !, ne tuez pas de gibier alors que vous êtes sacralisés ! Quiconque parmi vous en tuera intentionnellement [devra ou bien] une compensation égale à la bête de troupeau qu'il tue en offrande consacrée à la Kaaba - deux hommes intègres parmi vous [en] jugeront -, ou bien son rachat sera la nourriture d'un pauvre, ou bien [à défaut,] un jeûne équivalent à cela. [Tout cela est fait] pour que [le pécheur] goûte le châtiment de son geste. Allah a effacé [toutefois] ce qui appartient au passé. De quiconque récidivera, Allah tirera cependant vengeance. Allah est puissant et porteur de vengeance) font aussi partie des preuves invoquées pour cette règle.[13]

Hadiths et tradition du Prophète Muhammad (s)

Le hadith le plus célèbre utilisé pour prouver cette règle est le hadith :

الإسلامُ یجُبُّ ما قَبلَهُ
L'islam efface ce qui le précède.[14]

Concernant ce hadith, l'auteur du livre « Jawâhir al-Kalâm » (Muhammad Hasan an-Najafî) déclare que les savants ont agi selon ce hadith et que d'autre part, le teneur du hadith est en accord avec le verset 38 de la sourate al-Anfâl.[15] Par conséquent, ce hadith est considéré comme authentique.
Certains chercheurs en jurisprudence, ont également citèrent un hadith de l'Imam Ali (a) disant que « l'islam efface le passé »[16] pour prouver cette règle.[17] Certains ont également mentionné, parmi les preuves invoquées pour cette règle, un hadith du Prophète (s) dans le livre « Sahîh Muslim » ainsi qu'un hadith de l'Imam al-Bâqir (a).[18]

Aussi, d’après l’Ayatollah Muhammad Husayn Kâshif al-Ghitâ’, l’un des savants chiites du 13e sicle de l’Hégire, pendant la vie du Prophète Muhammad (s), les nouveaux convertis à l’islma n'étaient pas obligés d'accomplir ou de compenser les actes d'adoration et les obligations financières qu'ils avaient manqués pendant leur mécréance.[19] L'objectif du Messager d’Allah (s) avec cette pratique était de faciliter et d'encourager les mécréants à embrasser l'islam, comme dans le cas de la conversion de al-Mughîrat b. Shu‘ba et ‘Amr b. al-‘Âs dont le passé fut ignoré.[20]

Logique rationnelle

L’Ayatollah Makârim Shîrâzî, le juriste du 15e siècle de l’Hégire, estime que la logique rationnelle, également approuvé par le législateur divin, ne donne pas d'effet rétroactif aux lois. En d’autre terme, les lois établies par les raisonnables ne s'appliquent pas aux cas antérieurs à leur promulgation.[21]

Conséquences de fiqh

Cette règle a diverses conséquences dans différents sujets de le fiqh, qui sont mentionnées ci-après :

Cas où la règle s'applique

  • Effets de la mécréance : après la conversion d'un mécréant à l'islam, les effets de la mécréance, comme l'impureté et ses péchés, sont annulés.[22]
  • Rattrapage des actes d'adoration : la prière, le jeûne et le hadj font partie des actes d'adoration dont le nouveau converti est dispensé et qu'il n'a pas besoin de rattraper ou de compenser.[23]
  • Obligations financières : conformément à l'opinion répandue chez les juristes chiites, les obligations financières religieuses telles que le Khums et le zakat sont également pardonnées et ne doivent pas être payées après la conversion à l'islam.[24]
  • Contrats : les contrats conclus par le mécréant durant sa mécréance, comme la vente d'une maison, le mariage, le divorce (même si certaines conditions n'ont pas été respectées), sont considérés comme valides.[25] Mais les mariages illicites selon l'islam, comme le mariage avec deux sœurs en même temps ou avec sa mère ou sa sœur, sont nuls et non valides.[26]
  • Héritage : si un mécréant se convertit à l'islam avant la répartition de l’héritage, il aura droit à une part de l'héritage.[28]

Cas d'exception à la règle

  • Talion et compensation financière : d’après certains juristes, cette règle n'inclut pas la talion, et si un infidèle mérite la talion, sa conversion à l'islam ne peut pas l'en exonérer.[29] En revanche, d'autres croient que selon cette règle, la talion est également levée.[30] En ce qui concerne la compensation financière, il est dit que l'annulation de la compensation financière va à l'encontre du faveur divin, et qu'elle doit être payée par le nouveau converti.[31]
  • Puretés triples (les ablutions, le bain rituel, at-Tayammum) : les juristes majoritaires croient que si un non-musulman, alors qu'il est encore mécréant, accomplit un acte qui rend obligatoires les trois types de pureté, il doit accomplir les purification nécessaires pour pouvoir effectuer ses actes d’adoration.[32]
  • Dettes et garanties : les garanties et les dettes financières ne sont pas annulées par la conversion à l'islam, et cette question fait l'objet d'un unanime parmi les juristes.[33]

Références

  1. Bujnûrdî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 1, p 50
  2. Ibn al-Athîr, An-Nihâya, p 1, p 233 et 234
  3. Makârim Shîrâzî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 2, p 171
  4. Bujnûrdî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 1, p 50
  5. Sayyid Muhammad Kâzim Tabâtabâ‘î Yazdî, Al-‘Urwat al-Wuthqâ, vol 2, p 465
  6. Fâdil Lankarânî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, p 266 - 267 ; Mar‘ashî Najafî, Al-Qasâs ‘alâ Daw’ al-Qur’ân wa as-Sunna, vol 1, p 302
  7. Subhânî, Al-Îdâhât as-Sanîyya, vol 3, p 74
  8. Subhânî, Al-Îdâhât as-Sanîyya, vol 3, p 74 ; Majd khânî et les autres, « Mafhûm Shinâsî Imtinân wa Sanjish bâ Wâzhigân Mushâbih », p 601
  9. Majd khânî et les autres, « Barrisî Qâ‘idiyi Jabb (al-Islâm Yajubbu mâ Qablah) », p 41 - 42
  10. Mu’assisiyi Dâ’irat al-Ma‘ârif al-Fiqh al-Islâmî, Mawsû’at al-Fiqh al-Islâmî, vol 13, p 49
  11. Mu’assisiyi Dâ’irat al-Ma‘ârif al-Fiqh al-Islâmî, Mawsû’at al-Fiqh al-Islâmî, vol 13, p 50
  12. Ayatollah Muhammad Hasan an-Najafî, Jawâhir al-Kalâm, vol 21, p 259 ; Âghâ Dîyâ’ ‘Irâqî, Sharh Tabsirat al-Muta‘allimîn, vol 4, p 361 ; Muntazirî, Kitâb az-Zakât, vol 1, p 137
  13. Mustafawî, Mi’at Qâ‘idat Fiqhîyya, p 41
  14. Faqîh, Qawâ‘id al-Faqîh, p 166 ; ‘Allâma al-Hillî, Nihâyat al-Ahkâm, vol 2, p 308 ; Cheikh Ansârî, Kitâb as-Sawm, p 195
  15. Ayatollah Muhammad Hasan an-Najafî, Jawâhir al-Kalâm, vol 15, p 62
  16. Ibn Hayyûn, Sharh al-Akhbâr, vol 2, p 317
  17. Zâri‘î Sabziwârî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 9, p 330
  18. Mishkînî, Mustalahât al-Fiqh, p 191
  19. Kâshif al-Ghitâ’, Tahrîr al-Majalla, vol 1, p 93
  20. Fâdil Lankarânî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, p 261 - 262
  21. Makârim Shîrâzî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 2, p 188
  22. Mîlânî, Muhâdirât fî Fiqh al-Imâmîyya, vol 1, p 80
  23. Ayatollah Muhammad Hasan an-Najafî, Jawâhir al-Kalâm, vol 17, p 301 ; Subhânî, Al-Îdâhât as-Sanîyya, vol 3, p 76
  24. Sabziwârî, Kifâyat al-Ahkâm, vol 1, p 170
  25. Fâdil Lankarânî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, p 269 ; Mu’assisiyi Dâ’irat al-Ma‘ârif al-Fiqh al-Islâmî, Mawsû’at al-Fiqh al-Islâmî, vol 13, p 61
  26. Ghayûr Bâghbânî, « Barrisî Tatbîqî du Qâ‘idiyi Jabb wa ‘Afw ‘Umûmî az Manzar Fiqh wa Huqûq », p 112
  27. Subhânî, Al-Îdâhât as-Sanîyya, vol 3, p 78
  28. Cheikh as-Sadûq, Al-Muqni‘, p 507
  29. Makârim Shîrâzî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 2, p 184 ; Subhânî, Al-Îdâhât as-Sanîyya, vol 3, p 82 - 83 ; Mu’assisiyi Dâ’irat al-Ma‘ârif al-Fiqh al-Islâmî, Mawsû’at al-Fiqh al-Islâmî, vol 13, p 57
  30. Madanî Kâshânî, Kitâb al-Qisâs, p 74
  31. Bujnûrdî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 1, p 54
  32. Makârim Shîrâzî, Al-Qawâ‘id al-Fiqhîyya, vol 2, p 182
  33. Al-Husaynî al-‘Âmilî, Miftâh al-Karâma, vol 9, p 597