Commettre un grand péché

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Commettre un grand péché (en arabe : إرتكاب الكبائر) désigne des grands péchés et celui qui commet un grand péché. Le désaccord sur la foi de celui qui commet un grand péché fut l'une des premières divergences parmi les musulmans. La plupart des savants imamites, en s'appuyant sur les versets du Coran et les hadiths des Ahl al-Bayt (a), considèrent que celui qui commet un péché majeur a la foi mais est libertin, et que son châtiment est temporaire en raison de sa foi.

Dans les autres branches de l'islam, les kharidjites considèrent celui qui commet un grand péché comme mécréant et digne d'un châtiment éternel, tandis que les Murji‘a considèrent une telle personne comme croyante et à l'abri du châtiment. Les mu'tazilites ne le considèrent pas comme croyant ou mécréant, mais dans une position intermédiaire entre ces deux états. Les gens de hadith considèrent une telle personne comme un croyant dont la foi est faible. Les ash'arites et les Maturîdîyya ne considèrent pas non plus que la commission de grands péchés entraîne la perte de la foi, et considèrent la foi comme une affaire du cœur.

Du point de vue des juristes chiites, la commission de péchés majeurs a également des conséquences de fiqh ; par exemple, une telle personne perd son justice individuelle. De même, l’autorité islamique est tenue d’appliquer Hadd celui qui commet des péchés majeurs dans les cas où un châtiment spécifique (Hadd) est prescrit, et de le punir (Ta‘zîr) dans les autres cas.


Présentation et position

Une inscription du hadith du Prophète Muhammad (s) « mon intercession inclura les pécheurs de ma communauté qui auront commis des grands péchés » sur le mur de la Mosquée du Prophète (s).

Ayatollah Ja‘far Subhânî, le théologien chiite, considéra la discussion sur celui qui commet un grand péché comme la première question théologique des musulmans après la question de l'Imamat.[1] Selon lui, trois questions principales se posent à cet égard :

  1. Celui qui commet un grand péché est-il croyant ou polythéiste ?
  2. Celui qui commet un grand péché est-il croyant ou athée ?
  3. Celui qui commet un péché majeur est-il éternellement puni ou non ?[2]

L'essence de cette question renvoie à la relation entre l’œuvre et la foi.[3] Si l’œuvre fait partie intégrante de la foi, alors si quelqu'un commet un péché, il sort du cercle de la foi ; mais si l’œuvre est séparée de la foi, le pécheur sera un croyant libertin.[4]

Selon Ayatollah Sayyid Abd al-Husiyn Dastghiyb, le grand péché est un péché que le Coran et les hadiths qualifient explicitement de grand ou pour lequel ils promettent le feu de l’Enfer à son auteur.[5]

Point de vue des savants chiites

L'Imam Ja‘far as-Sâdiq (a) dit :

Lorsqu'un homme commet un péché majeur ou mineur dont Dieu l’interdit, il sort de la foi et le nom de la foi lui est retiré, seul le nom de l'islam lui reste. S'il se repent et demande le pardon, il retourne dans la demeure de la foi. Il ne sort de la foi pour entrer dans la mécréance que par la négation et le changement du licite (Halâl) et de l'illicite (Harâm), c'est-à-dire en considérant les choses licites dans l’islam comme illicite et les choses illicites dans l’islam comme licite et en s'y conformant. Dans ce cas, il est sorti de l'islam et de la foi et est entré dans la mécréance.

Les savants chiites s'accordent à dire que celui qui commet un grand péché n'est ni mécréant ni associateur et qu'il est considéré comme musulman. Ils croient également qu’Allah peut lui pardonner son châtiment :

Cheikh as-Sadûq considère que la foi a trois piliers : la déclaration verbale, la croyance du cœur et l'acte des membres et des organes.[6] Il fait la distinction entre islam et foi et présente l'œuvre comme condition de la foi.[7] Selon lui, d'après le verset 49 de la sourate an-Nisâ’, Dieu a le choix de punir ou non le pécheur, et s'Il lui pardonne, c’est par Sa grâce.[8]

Cheikh al-Mufîd croit aussi que l'islam est différent de la foi et que la signification de l’islam est plus large.[9] Il ne considère pas ceux qui commettent des grands péchés comme étant absolument croyants ou absolument libertins, et dit qu'on ne peut utiliser que le terme « islam » à leur égard.[10] D’après lui, tous les savants imamites croient que celui qui commet des grands péchés peut bénéficier de l'intercession et être sauvé du châtiment divin.[11]

Sayyid al-Murtadâ considère la foi comme quelque chose qui, en soi, mérite une récompense éternelle et permanente, et qui n'est pas annihilée par la commission de grands péchés qui entraînent un châtiment temporaire.[12] Il ne considère celui qui commet des grands péchés comme mécréant que s'il nie que ces péchés sont parmi les grands péchés ; sinon, il le considère comme croyant.[13]

Cheikh at-Tûsî considère la foi comme une confirmation du cœur et n'accorde aucune valeur à sa proclamation verbale.[14] En citant l'avis des différentes branches de l'islam au sujet de celui qui commet un péché majeur, il juge que celui qui commet un grand péché est libertin.[15]

Al-Khâja Nasîr ad-Dîn at-Tûsî croit aussi que seul le mécréant subit un châtiment éternel et que, en raison de sa foi, celui qui commet un grand péché mérite une récompense, de sorte que son châtiment est temporaire.[16]

‘Allâma al-Hillî confirme également les propos d’al-Khâja et ne considère pas que le libertinage et le péché entraînent la perte de la foi.[17] Il donne deux raisons pour lesquelles le châtiment de celui qui commet un péché majeur est temporaire :

  1. Celui qui commet un grand péché mérite une récompense en raison de sa foi, et mérite un châtiment en raison de son péché. D'autre part, tous les musulmans s'accordent à dire que dans l'au-delà, le châtiment précède la récompense. Donc, si le châtiment était éternel, la personne ne recevrait pas la récompense de sa foi, ce qui est mal rationnel.[18]
  2. Si le châtiment de celui qui commet un grand péché était éternel, cela impliquerait qu'une personne qui a vécu pieusement toute sa vie mais a péché à la fin serait éternellement punie, ce qui est absurde aux yeux de la raison, parce que c'est le mal rationnel.[19]

Statut de l'auteur du grand péché au point de vue des sunnites

Kharidjites :

Ils déclarent que l'auteur d'un grand péché est un mécréant.[20]
Un groupe d'entre eux, les Azraqites, croyait que l'auteur d'un grand péché est un apostat condamné à l'Enfer éternel sans possibilité de se repentir et doit être brûlé avec ses enfants.[21]

Mu‘tazila :

Ils soutiennent que celui qui commet un grand péché perd la foi mais n'est pas un mécréant.[22] Cette personne n'est ni croyante ni mécréante, mais plutôt un pervers (Fâsiq). Le statut de cette personne n'est ni la foi ni la mécréance, mais se situe entre les deux.[23] Selon l'argumentation d’al-Qâdî Abd al-Jabbâr al-Mu‘tazilî, l'auteur d'un grand péché n'est pas un croyant, car un croyant mérite la louange pour sa foi, tandis qu'un pécheur qui commet le grand péché mérite le blâme pour son péché.[24] D'autre part, il n'a pas non plus le statut d'un mécréant, car un mécréant a des préceptes spécifiques comme l'impureté qui ne s'appliquent pas à un pécheur d’un grand péché.[25]

Murji‘a :

L’opinion de Murji‘a s'oppose à celle des kharidjites qui considérèrent l'auteur d'un grand péché comme mécréant.[26] Selon l’ayatollah Ja‘far Subhânî, ce groupe ne diffère des autres musulmans que sur la question de la nature de la foi et des actes. Ils considèrent la foi comme indépendante des actes.[27]

D’après eux, la foi est simplement une confirmation du cœur ou de la langue et ne peut ni augmenter ni diminuer.[28] L'auteur d'un grand péché possède également cette confirmation du cœur et est donc un véritable croyant.[29] En raison de cette foi, l'auteur d'un grand péché, même s'il ne se repent pas, ne sera pas condamné à l'Enfer éternel.[30]

Ahl al-Hadîth (les gens de hadith) :

Contrairement aux Murji‘a et aux kharidjites, Ahl al-Hadîth affirment que la foi peut être forte ou faible.[31] Ils définissent également la foi comme une parole accompagnée d'actes et de pratiques.[32] Ils considéraient l'auteur d'un grand péché comme un croyant pécheur qui perdit la perfection de sa foi.[33]

Ash‘arites et Mâturîdîyya :

Selon les Ash‘arites, la foi est une question de cœur et n'est pas liée aux actes, bien qu'elle soit une condition pour les bonnes actions.[34]
En conséquence, les Ash‘arites considérèrent l'auteur d'un grand péché comme un croyant et son châtiment comme temporaire. Ils affirment que Dieu seul sait comment il sera puni.[35]

Selon Mâturîdîyya, celui qui commet un grand péché n'est pas non plus un mécréant, mais il sera puni en fonction de la gravité de ses péchés.[36]
Du point de vue d’Abû Mansûr al-Mâturîdî, la foi est une confirmation du cœur et la mécréance est un déni.[37]

Statut de l'auteur d'un grand péché dans le fiqh chiite

D’après les fatwas des juristes chiites, l'abstention des grands péchés est une condition de la justice individuelle. Commette un grand péché annule la justice de l'individu.[38] Si le péché est l'un de ceux pour lesquels la religion définit une peine légale prescrite (Hadd), cette peine doit être appliquée, et si aucune peine n'est définie, la peine de Ta‘zîr[Note 1] sera appliquée.[39]

Note

  1. La punition des crimes pour lesquels l'islam ne définit pas de punition et la détermination de son montant et de son type est laissée à l’autorité religieuse.

Références

  1. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 5, p 443
  2. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 5, p 443
  3. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 5, p 443
  4. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 5, p 443
  5. Ayatollah Dastghiyb, Gunâhân Kabîri, vol 1, p 31 - 32
  6. Cheikh as-Sadûq, Al-Hidâyat, vol 2, p 54
  7. Cheikh as-Sadûq, Al-Hidâyat, vol 2, p 54 - 55
  8. Cheikh as-Sadûq, Al-I‘tiqpadpat al-Imâmîyya, p 67
  9. Cheikh al-Mufîd, Silsila Mu’allifât ash-Shiykh al-Mufîd, vol 4 (Awâ’il al-Maqâlât), p 48
  10. Cheikh al-Mufîd, Silsila Mu’allifât ash-Shiykh al-Mufîd, vol 4 (Awâ’il al-Maqâlât), p 84
  11. Cheikh al-Mufîd, Silsila Mu’allifât ash-Shiykh al-Mufîd, vol 4 (Awâ’il al-Maqâlât), p 47
  12. Sayyid al-Murtadâ, Rasâ’il ash-Sharîf al-Murtadâ, vol 1, p 147 - 148
  13. Sayyid al-Murtadâ, Rasâ’il ash-Sharîf al-Murtadâ, vol 1, p 155
  14. Cheikh at-Tûsî, Al-Iqtisâd, p 227
  15. Cheikh at-Tûsî, Al-Iqtisâd, p 227 - 235
  16. Khâji Nasîr ad-Dîn at-Tûsî, Tajrîd al-I‘tiqâd, p 304
  17. ‘Allâma al-Hillî, Kashf al-Murâd, p 427
  18. ‘Allâma al-Hillî, Kashf al-Murâd, p 414 - 415
  19. ‘Allâma al-Hillî, Kashf al-Murâd, p 415
  20. Abû Hâtam ar-Râzî, Kitâb az-Zînat fî al-Kalamât al-Islâmîyya al-‘Arabîyya (al-Qism ath-Thâlith), p 282 ; Al-Baghdâdî, Usûl ad-Dîn, p 332 ; Al-Baghdâdî, Al-Farq bayn al-Firaq, p 73 ; Ibn Hamza al-Andulusî, al-Fisal, vol 2, p 113 ; Ibn Abi al-Hadîd, Sharh Nahj al-Balâgha, vol 8, p 113
  21. Shahristânî, Al-Milal wa an-Nihal, vol 1, p 140 - 141 ; Al-Baghdâdî, Al-Farq bayn al-Firaq, p 82 - 83 ; Ash‘arî, Al-Maqâlât wa al-Firaq, p 85 - 86
  22. Qâdî ‘Abd al-Jabbâr, Sharh al-Usûl al-Khamsa, p 471
  23. Qâdî ‘Abd al-Jabbâr, Sharh al-Usûl al-Khamsa, p 471
  24. Qâdî ‘Abd al-Jabbâr, Sharh al-Usûl al-Khamsa, p 474
  25. Qâdî ‘Abd al-Jabbâr, Sharh al-Usûl al-Khamsa, p 481
  26. Collectif de chercheurs, « al-Murji‘a », Mawsû‘a al-Firaq al-Muntasibat li al-Islâm, vol 3, p 16
  27. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 3, p 110
  28. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 3, p 110 ; Al-Wardânî, Firaq Ahl as-Sunna, p 51
  29. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 3, p 110 - 111 ; Al-‘Uthaymîn, Sharh al-‘Aqîdat al-Wâsitîyya, vol 2, p 69
  30. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 3, p 111 ; Al-‘Uthaymîn, Sharh al-‘Aqîdat al-Wâsitîyya, vol 2, p 69
  31. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 1, p 164
  32. Ayatollah Subhânî, Buhûth fî al-Milal wa an-Nihal, vol 1, p 164
  33. At-Taftâzânî, Sharh al-Maqâsid, vol 3, p 463
  34. Al-Jurjânî, Sharh al-Mawâqif, vol 8, p 324 - 325
  35. Al-Jurjânî, Sharh al-Mawâqif, vol 8, p 309 et 312 et 334
  36. Abû Mansûr al-Mâturîdî, At-Tawhîd, p 364
  37. Abû Mansûr al-Mâturîdî, At-Tawhîd, p 380
  38. Cheikh al-Ansârî, Rasâ’il Fiqhîyya, p 6 - 8 ; Ayatollah Muhammad Hasan an-Najafî, Jawâhir al-Kalâm, vol 41, p 26
  39. Ayatollah Muhammad Hasan an-Najafî, Jawâhir al-Kalâm, vol 41, p 448