Ta‘zîr
Ta‘zîr (en arabe : التعزير) est une punition pour des crimes pour lesquels l'islam n'a pas fixé de sanction spécifique. La détermination de la nature et de la gravité de cette punition est laissée à l'appréciation du Hâkim ash-Shar'.
At-Ta‘zîrs se divisent en deux catégories : at-Ta‘zîr religieux et at-Ta‘zîr gouvernemental. Les punitions pour violation des règles religieuses, comme commettre des actes interdits ou négliger des obligations sont appelées at-Ta‘zîr religieux. Les punitions pour des infractions aux lois étatiques, comme la rétention illégale de marchandises (al-Ihtikâr) sont appelées at-Ta‘zîr gouvernemental.
At-Ta‘zîr peut inclure toute peine visant à dissuader le criminel de récidiver. Cela comprend des punitions telles que la prison, des amendes ou la confiscation de biens. Cependant, certains jurisconsultes estiment qu'at-Ta‘zîr doit se limiter aux punitions corporelles.
Définition
En langue arabe, le terme at-Ta‘zîr signifie « empêcher », « aider » ou « corriger »(1). Il désigne également les punitions qui empêchent de commettre un péché(2). En jurisprudence islamique, at-Ta‘zîr fait référence à une peine pour laquelle la loi religieuse n’a pas fixé de montant ou de type précis. La décision sur la nature et la gravité de cette peine est laissée au juge religieux (Hâkim ash-Shar‘î) ou au Juge(3)(4).
At-Ta‘zîr occupe une place centrale dans le chapitre des al-Hudûd (sanctions pénales) en droit islamique(5). Cependant, les jurisconsultes en parlent également dans d’autres chapitres, comme ceux du jeûne (as-Sawm), du pèlerinage (Hajj), du commerce (at-Tijâra) ou du mariage (an-Nikâh). At-Ta‘zîr est aussi lié à la notion de commandement du bien et interdiction du mal (Amr bi al-Ma‘rûf wa an-Nahy ‘an al-Munkar), bien qu’il se distingue par le fait qu’il constitue une punition et relève exclusivement de l’autorité du juge religieux(6).
Différences entre at-Ta‘zîr et al-Hadd
Les jurisconsultes islamiques distinguent plusieurs différences entre at-Ta‘zîr (punition discrétionnaire) et al-Hadd (peine prescrite)(7) :
- Détermination de la peine : Les peines des al-Hudûd sont spécifiées dans les textes religieux, tandis que le montant et la nature des at-Ta‘zîr sont laissés à la discrétion du juge religieux. Cependant, at-Ta‘zîr ne doit jamais dépasser la sévérité d'al-Hadd.
- Égalité entre individus : at-Ta‘zîr s’applique de manière égale aux esclaves et aux personnes libres, contrairement aux al-Hudûd où des distinctions existent entre ces catégories.
- Facteurs influençant la peine : Dans le cas d'at-Ta‘zîr, des éléments comme la nature du crime, les circonstances, la personnalité du criminel, la victime, le lieu et le moment peuvent modifier la punition. Ces facteurs n'affectent pas les al-Hudûd.
- Fondement de la peine : at-Ta‘zîr dépend des conséquences néfastes d’un acte, même si l’acte commis par le coupable n’est pas un péché. Par exemple, cela inclut les actions d’un enfant ou d’une personne atteinte de troubles mentaux. En revanche, al-Hadd est toujours une punition pour un péché et s’applique uniquement aux pécheurs.
- Objectif : at-Ta‘zîr vise à corriger et réformer le coupable, tandis que al-Hadd protège les intérêts de la société.
- Effet du repentir : at-Ta‘zîr peut être annulé si le coupable se repent, mais certaines peines des al-Hudûd ne sont pas affectées par le repentir.
- Uniformité : Les al-Hudûd sont fixes et s’appliquent uniformément partout, tandis que at-Ta‘zîr peut varier selon les coutumes locales (‘Urf).
- Droits concernés : Les al-Hudûd sont liés exclusivement aux droits de Dieu (Haqq Allah), tandis qu'at-Ta‘zîr peut concerner aussi bien les droits de Dieu que ceux des individus.
- Possibilité de pardon : at-Ta‘zîr peut être pardonné, mais ce n’est pas toujours le cas pour les al-Hudûd.
- Intercession : L’intercession (Shifâ'at) et la garantie (Wikâlat) (par une caution) sont acceptées dans le cas d'at-Ta‘zîr, mais elles ne sont pas autorisées pour les al-Hudûd.(8)(9).
Légitimité d'at-Ta‘zîr
Certains exégètes du Coran tirent la légitimité d'at-Ta‘zîr du verset « Et ceux qui offensent les croyants et les croyantes sans qu’ils l’aient mérité, se chargent d’une calomnie et d’un péché évident. »[1](10). Ils considèrent que ce verset condamne ceux qui nuisent aux musulmans sans qu'ils aient commis de crime. Ils estiment que le verset implique qu'il est permis de punir quelqu'un pour avoir causé du tort à autrui, de la même manière que les peines d'al-Hadd et d'at-Ta‘zîr, si un crime a été commis.
Dans le verset 19 de la sourate an-Nûr, ceux qui propagent des immoralités concernant les croyants sont désignés comme devant recevoir une punition douloureuse. Certains juristes considèrent que ce châtiment fait référence à at-Ta‘zîr(12).
Certains jurisconsultes estiment que l’action de brûler le veau d'or et de le jeter à la mer par le prophète Moïse (a) est un exemple d'at-Ta‘zîr financier(13). Des exemples historiques, tels que la destruction de la mosquée adh-Dhirâr sur ordre du Prophète de l'Islam (s), l’expulsion des Banu an-Nadîr de leurs terres, la destruction de leurs palmeraies, ou la menace d’exil des hypocrites et des colporteurs de rumeurs, sont également cités comme des cas d'at-Ta‘zîr financier pendant le temps du Prophète Muhammad (s).
De plus, selon certains jurisconsultes, la tradition du Prophète de l'islam et de l'Imam Ali (paix sur eux) était la suivante : toute personne qui négligeait une obligation ou accomplissait un acte interdit pour lequel il n'y avait pas de peine spécifique, était soumise à at-Ta‘zîr(15). Dans les hadiths chiites, at-Ta‘zîr est décrit comme une punition pour certains péchés, et les différentes méthodes d'at-Ta‘zîr, comme le fouet, l'emprisonnement ou l'exposition publique, sont mentionnées(16)(17)(18).
Étendue d'at-Ta‘zîr
Le domaine d'at-Ta‘zîr ne se limite pas aux règles religieuses, mais inclut également des punitions gouvernementales. Ainsi, les at-Ta‘zîrât se divisent en deux types :
Ta‘zîrât religieuses (ash-Shar‘î)
Ces punitions s’appliquent aux personnes qui enfreignent les lois religieuses, comme l’omission d’obligations ou la commission d’interdits(19). Voici quelques exemples de délits entraînant un at-Ta‘zîr religieux :
- Relations illicites en deçà de la fornication (comme embrasser ou partager un lit avec une personne étrangère à soi)(20).
- Porter atteinte à l’honneur ou insulter autrui(21).
- Proférer des injures(22).
- Porter de fausses accusations (autres que la calomnie grave, al-Qadhf), par exemple accuser quelqu’un de relations homosexuelles(23)(24).
- Vol qui ne remplit pas les conditions pour appliquer al-Hadd.
- Masturbation(25).
- Vol par un enfant(26).
- Trahison de confiance(27).
- Briser le caractère sacré du mois de Ramadan, d’un jour saint (comme le vendredi) ou d’un lieu saint (comme une mosquée) en commettant des actes illicites tels que la fornication ou la consommation d’alcool(30).
Ta‘zîrât gouvernementaux
At-Ta‘zîrât gouvernementaux désignent les punitions imposées par les gouvernements aux personnes enfreignant les lois et règlements de l’État. L’imam Khomeiny les qualifie de "punitions dissuasives". Parmi ces délits figurent :
- La thésaurisation de biens essentiels (monopole des stocks)
- La hausse abusive des prix
- La sous évaluation des quantités ou des poids dans les transactions(31)
Dans certains pays islamiques, des organismes sont chargés de traiter les infractions économiques. En Iran, l’Organisation des Ta‘zîrât gouvernementaux est responsable de la lutte contre la hausse abusive des prix et la contrebande de marchandises(32).
Méthodes de punition dans at-Ta‘zîr
Il existe un désaccord parmi les jurisconsultes concernant la méthode des at-Ta‘zîrât : incluent-elles tous les types de punitions ou se limitent-elles uniquement aux punitions corporelles ?(33)
Certains jurisconsultes chiites estiment qu'at-Ta‘zîr englobe tout type de punition visant à empêcher le récidivisme. Cela peut inclure :
- L’emprisonnement
- Les amendes
- La confiscation de biens
- La réprimande publique
- L’exil(34)
D’autres soutiennent que, d’après les écrits des jurisconsultes et des lexicographes, at-Ta‘zîr se limite aux punitions corporelles(35).
L’Ayatollah Makârim Shîrâzî explique que ceux qui interprètent at-Ta‘zîr comme une punition corporelle ne l’excluent pas pour autant d’autres formes de punitions. Ils ont proposé cette interprétation parce que, historiquement, la punition corporelle en constituait l’application la plus courante(36).
Préceptes associées à at-Ta‘zîr
- Une infraction nécessitant un at-Ta‘zîr peut être prouvée par deux aveux du coupable ou par le témoignage de deux témoins justes(38).
- Si une personne décède pendant l’exécution d’un at-Ta‘zîr, selon l’opinion majoritaire des jurisconsultes chiites, aucune indemnité (ad-Dîya) n’est due pour sa mort(39).
Voir aussi
Références
- ↑ Le Coran, la sourate al-Ahzâb, le verset 58